Témoignage anonyme

En avril 2017, j’étais hospitalisé d’urgence à l’hôpital aux soins psychiatriques. Ma vie ne tenait qu’à un fil. Mon garçon m’a ramassé en miettes et m’a obligé à voir un médecin. Il ne m’a pas quitté et ne m’a jamais laissé tomber. Après une nuit d’insomnie, un texte est sorti d’un trait de ma plume….

Quand la peur est trop grande,
Elle devient en nous Courage.
Elle nous rend fort, puissant, invincible.
Elle fait de nous des vainqueurs.

Mais elle laisse derrière outre âme,
Une empreinte à sa grandeur.
Parce qu’à l’état de veille,
Nous sommes invincibles,
Elle attend notre sommeil,
Pour s’acharner sur notre coeur.

Elle fait de nos nuits un cauchemar
Dont nous ne pouvons sortir vainqueur.
Son attaque est à la grandeur
De notre victoire initiale.

Plus grand a été le Courage,
Plus grand sont les dommages.
La vraie bataille ne fait que commencer
Et celle-là aussi, je vais la gagner.

La marche était haute. Je n’étais plus qu’une loque humaine sans aucune estime de soi. Plus aucune valeur à laquelle m’accrocher. Tout ma vie se déroulait dans le négatif, dans mes échecs, dans mes malheurs. C’était triste à mourir.

Tous les beaux souvenirs, les beaux moments, les réussites étaient disparus, pourtant, ils étaient très nombreux. Des autres, je ne retenais que les mauvais gestes, les mauvais mots, les regards douteux. Tout autour de moi était pour m’enfoncer encore plus. Tout ne faisait que m’enfoncer.

La nuit, j’étais seul dans mes cauchemars. J’avais peur de m’endormir pour ne pas les revivre. Je les faisais debout, éveillé. Je m’étais isolé. J’étais un très mauvais compagnon qui ne savait plus rire, qui ne trouvait rien de drôle. Un vrai emmerdeur. Ma présence n’était plus désirable.

Ma condition physique s’était dégradée. Problèmes de dos, de jambes. Je marchais courbé, comme un homme au bout de sa vie et j’acceptais tout ça. J’attendais le bout de ma vie.

Plus aucune fierté, plus aucun respect de la personne que j’étais. Aux rares gens que je côtoyais, je jouais la comédie pour que rien ne paraisse. Et j’étais seul, dans une solitude triste et mortelle.

Pourtant, j’avais déjà été un homme fier, sûr de lui. Un amoureux agréable. Un fonceur qui n’avait peur de rien. Celui que l’on aime suivre parce qu’on a confiance en lui, parce que rien ne semble le perturber, parce qu’il a confiance en ses moyens. J’étais jovial, joueur de tour et j’avais, à ce qu’on disait, une grande gueule sympathique. On préférait être avec moi plutôt que contre moi.

J’étais le genre d’homme qui avançait droit dans ses convictions. Si une situation me dérangeait, je la tassais tout simplement et je continuais à avancer. Ma vie se déroulait d’un jet, en ligne droite, un jet continu. Dans mon métier, dans mes sports et dans mes loisirs, je voulais toujours être le meilleur et je prenais les moyens pour l’être. J’acceptais mal la défaite. Si elle survenait, je me reprenais pour ne plus qu’elle arrive. Mais un jour, après une deuxième carrière réussie, le travail a cessé. J’étais fatigué, usé, épuisé.

Enfin, j’avais le temps de penser, de réfléchir. J’ai commencé à voir toutes les choses, les petits et gros problèmes que j’avais tassés. Ils me sont tous tombés dessus en même temps, alors que j’étais vulnérable. Ils m’ont entraîné avec eux, dans le négatif à plein temps. Ils ont fait de ma vie un enfer.

Aujourd’hui, 16 mois plus tard, je crois que je l’ai enfin gagné. Avec l’aide du personnel médical, avec le soutien et la compréhension de mes proches, mais aussi et beaucoup, avec l’aide de la Fondation Vivre ma santé mentale. Je dois un gros merci au Dr Cossette et à Louiselle Brassard, de la fondation.

À l’hôpital, j’ai accepté l’aide que le personnel m’a offert. C’est très difficile pour un homme de laisser tomber ses barrières, de nommer ses émotions en pleurant comme un enfant, de se mettre à nu pour dévoiler de lui ce qu’il a toujours voulu garder. Dévoiler ses secrets, le fond de lui-même et ses faiblesses, parce que, rendu-là, on ne voit qu’elles. Admettre qu’on ne peut plus s’en sortir seul, qu’on ne voit plus de solution, qu’on est à terre comme un tapis sur lequel on peut marcher, qu’on ne peut pas être plus bas et qu’on est devenu à nos yeux, un incapable.

C’était nécessaire et je le savais. Ils avaient besoin de savoir pour démêler l’accumulation d’émotions, de faits et de gestes qui m’avaient conduit où j’étais.

Quel soulagement, quel poids énorme qui tombe des épaules lorsqu’on accepte finalement de s’ouvrir. Ils prennent ce poids pour le porter à notre place et le défont morceau par morceau, au fil des jours, pour n’en faire que des grains de sable. Déjà, la nuit suivante est plus facile. On n’est plus seul.

J’étais entouré de gens très humains, pleins d’empathie et de respect pour la personne en détresse que j’étais.

Plus tard, j’ai pu finir par comprendre que toutes ces choses difficiles qui m’étaient arrivées avaient inconsciemment formé l’homme que je suis maintenant. Elles m’apprenaient des choses sur moi que je ne prenais pas la peine de regarder. Elles me disaient des choses sur ma conduite en société dont j’aurais dû tenir compte. Je sais maintenant qu’elles ont fait de moi un homme meilleur, plus sage, plus à l’écoute des autres, plus sensible aux émotions et à la vie qui m’entoure. La vie ne nous donne jamais rien pour rien.

J’ai appris que je savais me battre pour ma vie! Même quand j’avais accepté de mourir. Notre cerveau peut faire des miracles, mais on en paye le prix, alors il faut le savoir et l’accepter.

J’ai appris que notre conjoint(e) ne nous reconnaît plus et qu’on peut l’entraîner avec nous. Il faut regagner sa confiance et ça ne se fait pas du jour au lendemain. J’ai dû apprendre à vivre chacune de mes émotions, ne rien laisser s’accumuler et prendre le temps de régler les choses dès qu’elles se présentent. Accepter mes faiblesses et construire sur mon meilleur. Éviter de regarder certains films ou émissions de télévision parce qu’ils viennent encore me chercher, peut-être même pour toujours. Il y a des sujets que je préfère éviter.

C’est en moi, ça fait partie de moi et j’apprend à vivre avec. Comme quelqu’un qui est allergique au beurre d’arachides; il l’évite. C’est bon pour d’autres, mais pas pour lui.

Dès ma sortie de l’hôpital, je me suis inscrit à trois des activités de la fondation : yoga, natation et aviron. Je me suis mis à l’entraînement, car je devais me reconstruire. J’y allais à fond. Ça me défoulait et je réalisais que j’avais encore quelque chose dans le corps. Mon entraîneur m’a donné un rêve et je m’y suis accroché. Je me suis parfois épuisé, vide. Trop perdu pour voir que j’en faisais trop. Il me ramenait à la réalité. Apprendre à doser, bien utiliser la puissance qui était en moi. Être à mon écoute, me respecter.

À mes côtés, il y en avait d’autres qui vivaient aussi des  drames intérieurs puisqu’ils étaient là eux aussi. Je n’étais plus seul. Je savais que je n’étais pas jugé. Je pouvais me permettre parfois de ne pas avoir l’air dans mon assiette, comme eux. Les médicaments, ça agit parfois d’une façon qui nous paraît bizarre. On en est venus à se parler, à rire parfois, à s’encourager, à se comprendre, à se sourire, à se le dire lorsqu’on avait passé une mauvaise nuit ou une mauvaise journée. Comme ça faisait du bien de se retrouver ensemble!

Michel avait une drôle d’équipe devant lui, mais il souriait, patientait et on reprenait. Il était plein d’empathie, de patience et de respect. Il nous faisait comprendre qu’il faut être tenace, que ça ne vient pas avec un seul entraînement et qu’il faut répéter, répéter, répéter et encore répéter. Il avait raison.

Enfin, je me suis retrouvé sur l’eau, les rames dans les mains. Voilà. Enfin, du plaisir! Dehors, au soleil, j’ai été accueilli les bras ouverts, dans le respect et l’encouragement. J’ai réappris à vivre permis les autres et j’ai eu de l’aide.
J’y ai passé deux étés maintenant. Ils sont devenus ma famille à moi.

À une de mes premières rencontres, un événement est survenu. Alors que je parlais avec mes nouvelles connaissances, une personne a quitté. J’ai senti une main toucher doucement mon épaule. La personne s’en allait sans se retourner, sans un regard, sans on mot. Ce simple geste d’empathie m’a saisi, m’a sorti de ma torpeur. Elle avait tout compris, sans un mot, sans que je ne dise quoi que ce soit. Elle savait. Inutile d’essayer expliquer l’inexplicable, l’incompréhensible. Je n’avais qu’à avancer, je n’avais qu’à être moi.

Sans le savoir, elle venait de m’ouvrir au monde, m’ouvrir aux autres. Je pouvais faire confiance à nouveau aux autres.
Parfois, j’arrivais le coeur un peu chaviré et elle disait tout simplement…viens ramer, pour le plaisir. Sans une question, sans un commentaire. Le silence de celui qui sait, qui a tout compris. Et d’autres l’ont fait. Cette personne demeurera toujours un trésor pour moi. Elle a été ma réinsertion dans la société. Si elle lit ceci, elles et d’autres vont la reconnaître.

Je ne voulais pas de la pitié, je savais que j’étais en piteux état. Mais là, j’ai trouvé des sourire, un regard accueillant, une tappe d’encouragement, le goût du partage dans l’effort, le goût du dépassement. Et c’était bon, c’était agréable.

Maintenant que je suis heureux, je veux le dire. Et ce cheminement, c’est la Fondation qui me l’a permis. Je leur en serai toujours redevable. Il y en a quelques-uns qui vont se reconnaître dans le Club d’aviron. Je leur dit merci. Et aux autres aussi qui ne savent pas qu’ils y sont pour quelque chose.

J’ai appris qu’il faut cesser de regarder en arrière. C’est vrai, mais pas pour les bons moments, les bons souvenirs. Il faut s’appuyer sur eux pour continuer à avancer, reconstruire un monde dans lequel on est heureux. Et ça marche! C’est parfois difficile, il y a souvent des rechutes, mais il faut savoir s’accrocher à la lumière de la chandelle pour retrouver celle du soleil.

J’ai gagné, encore une fois et j’en suis fier! Je ne changerai donc jamais…
Maintenant, je vais aller où la vie me mène, où mon coeur me dira d’aller et où je me sentirai utile, aimé et désiré.
Je vais vivre intensément avec les miens qui m’aiment et que j’aime.

Merci.

Pas par politesse, mais du plus profond de mon âme, avec beaucoup d’émotions. Je le dis la larme à l’œil et j’aimerais vous serrer tous dans mes bras, ceux qui ont fait partie de ma résurrection. Ça me fait du bien de le dire, parce qu’encore une fois, je ne suis plus seul.

Je ne signe pas mon nom. Ceux qui ont à me reconnaître vont le faire. Je sais que ceux qui savent en partie vont le lire avec respect et amitié.